Premier niveau : les membres
La première étape consiste à réécrire le texte, en le découpant en "membres" (c’est le premier niveau rhétorique du texte). Les membres regroupent des termes étroitement reliés entre eux, soit des "syntagmes".
On constate qu’il n’y a pas toujours correspondance entre la numérotation des versets et le découpage en membres rhétoriques : le v. 5 compte deux membres, et le v. 7 trois.
Deuxième niveau : les segments
Mais ces membres peuvent se regrouper, par parallélismes, ce qui donne un deuxième niveau du texte, celui des "segments".
Tous les segments de la Fâtiha ont deux membres : on les appellera des "bimembres". Mais un segment peut compter un, deux ou trois membres (jamais plus).
- Le premier segment a le nom de "Dieu" dans chacun des deux membres, suivi de noms divins, avec un rythme binaire : le Tout-Puissant / le Miséricordieux // Seigneur / des mondes.
- Le deuxième segment reprend le même jeu binaire entre noms divins : « le Tout-Puissant / le Miséricordieux // Possesseur/ du Jour de la Religion.
- Le troisième segment commence par le même pronom "Toi", suivi d’un verbe à la même personne, de même champ sémantique (adorer et demander sont deux formes essentielles de la prière).
- Les deux membres du quatrième segment sont reliés par la répétition du "chemin", en fin du premier membre, et au début du deuxième membre.
- Les deux membres du cinquième segment commencent par une négation (synonyme) : "ghayr" / "wa lâ".
Troisième niveau : les morceaux
Enfin, on peut regrouper les segments en trois ensembles, qu’on appellera des "morceaux". Ils peuvent compter un, deux ou trois segments (jamais plus). La Fâtiha compte trois morceaux. Le premier et le troisième de deux segments. Le deuxième d’un seul segment.
Les deux premiers segments sont parallèles, construits de la même manière (AB // A’B’), sauf que le second abrège le premier (ce qui est souvent le cas dans les parallélismes : le second élément du parallélisme est souvent plus court que le premier). Les premiers membres (A//A’) contiennent les mêmes noms divins « le Tout-Puissant, le Miséricordieux ». Les deuxièmes membres (B//B’), un nom divin de souveraineté ("Seigneur" // "Possesseur"), suivi d’un complément : "des mondes" // "du Jour de la Religion".
Les deux derniers segments sont construits en chiasme (AB / B’A’). Les deux termes extrêmes du morceau, dans les membres extrêmes, ont un sens contraire : "guide-nous" ↔ "qui s'égarent". Les deux membres centraux finissent par le même terme "‘alayhim" (traduits différemment en français).
Au centre, le morceau central ne contient qu’un segment.
On a donc affaire à une construction en concentrisme. Comme toujours dans ce genre de constructions, l’élément central est de forme différente des deux volets qu’il sépare (ici, il est nettement plus court), et il fait un lien entre ces deux volets : le premier membre du morceau central, "Toi que nous adorons", renvoie en effet au premier morceau, qui est une prière d’adoration, et le deuxième membre, "Toi dont nous implorons le secours", annonce le dernier morceau, qui est tout entier une prière de demande.
On peut encore remarquer le rôle des rimes : les trois morceaux se terminent par la rime en -în (alors que d’autres membres se terminent en -īm). Les deux morceaux extrêmes se terminent en plus par une assonance : iD-DĪN // aD-DāllÎN, des dentales redoublées, suivies de la rime en -īn, ce qui souligne le parallélisme des deux morceaux extrêmes.
Article original : Une brève présentation de l'Analyse rhétorique dans le Coran - L’exemple de la Fâtiha - Michel Cuypers